L’introduction de la réforme concernant la fiscalité des voitures de société imposant petit à petit l’électrification des flottes a été, et reste, un défi majeur pour les entreprises. Pour de multiples raisons, mais notamment par rapport à l’infrastructure de recharge. Le processus d’électrification étant bien enclenché, il nous a paru opportun d’organiser une réunion du réseau des Mobility Managers sur la thématique de l’optimisation de la recharge. Parce que des solutions innovantes existent ! Cette réunion s’est tenue à Battice dans les locaux d’Ernersol.
1. En introduction, le point sur l’actualité des bornes
La norme PEB – Stéphanie Zangl (AKT for Wallonia)
Les dispositions actuellement en vigueur concernant l’équipement des bâtiments en bornes de recharge sont dictées par le Décret relatif à la performance énergétique des bâtiments (PEB). Ce décret stipule que pour les bâtiments existants, il n’y a aucune obligation en la matière. Par contre pour tout bâtiment résidentiel ou non résidentiel à construire ou faisant l’objet d’une rénovation importante et disposant de plus de 10 emplacements de stationnement, il y a lieu de prévoir un point de recharge et des infrastructures de raccordement (gaines) pour 1 emplacement sur 5 au moins.
Une nouvelle réglementation européenne, la Directive 2024/1275, introduira prochainement d’autres obligations pour les bâtiments non résidentiels. Les États membres devront en effet prévoir dans leur législation respective, à partir de mai 2026, l’obligation d’imposer pour tout bâtiment neuf ou faisant l’objet d’une rénovation importante, 1 point de recharge pour 5 emplacements de stationnement, la pose d’un précâblage pour au moins 50% des emplacements et des gaines pour les 50% restants. À partir de 2027, les bâtiments non résidentiels existants ayant plus de 20 emplacements de stationnement seront eux aussi concernés (1 point de recharge pour 10 emplacements ou l’infrastructure de raccordement pour la moitié du parking).
La Wallonie va plus loin ou plutôt plus vite. Dès le 1er janvier 2025, tous les bâtiments non résidentiels disposant de plus de 20 emplacements de stationnement devront se mettre en règle et être équipé d’un point de recharge minimum et de gaines/chemins de câbles pour une place de stationnement sur 5.
« Il nous revient du terrain, explique Stéphani Zangl, que les entreprises wallonnes ne seront pas prêtes au 1er janvier 2025. La crispation concerne le risque d’amendes alors que le retard est notamment dû à une méconnaissance du cadre. Raison pour laquelle AKT for Wallonia demande une pause permettant un alignement sur les délais de la directive européenne ».
La réglementation européenne AFIR – Béatrice Schobbens (Cellule Mobilité d’AKT for Wallonia)
Cette réglementation fait partie du fameux package législatif « Fit for 55 » et est d’application depuis avril dernier. Elle se compose de plusieurs partie, certaines concernent l'hydrogène, l'équipement des aéroports et ports pour permettre aux avions et bateaux d'utiliser des carburants alternatifs impose aux États d’installer progressivement des bornes de recharge à échéance 2025 et 2030.
L'une des parties de la réglementation concerne les opérateurs de bornes publiques. Les entreprises qui ont installé sur leur site une ou plusieurs bornes aussi accessible(s) au public sont de facto considérées comme tel. La réglementation leur impose un paiement facile au moyen de carte de paiement ou de dispositifs sans contact, et ce, sans avoir besoin d’un abonnement. Mais aussi de pratiquer un prix raisonnable et transparent ; soit un affichage clair de ce qu’il en coûtera à l’utilisateur. Le calendrier est différent selon la vitesse de recharge (plus ou moins de 50 kW) et selon que l'infrastructure est neuve ou qu'il s'agit d'existant.
L’un des participants au réseau signale que pour connaître le prix exact de la recharge, il faudra plutôt se référer à son application propre parce que celle-ci intègre aussi les frais liés à la carte, ce que le terminal à la borne ne peut évidemment pas indiquer. Les EMSP ont également des obligations de clarté et de transparence qui leur sont appliqués dans cette même réglementation.
Le remboursement au tarif de la CREG – Béatrice Schobbens (Cellule Mobilité d’AKT for Wallonia)
Depuis des années, le fisc demandait que le remboursement de la recharge au domicile des travailleurs se fasse au tarif réel. Ce qui est très compliqué en raison des différents tarifs en vigueur, des contrats bi-horaires, de la présence ou non de panneaux solaires, etc. Résultat, les employeurs ont choisi de se référer au prix forfaitaire de la CREG. Sauf qu’une question parlementaire a remis le sujet sur la table. Et le fisc a ré-insisté : seul le tarif réel est à prendre en compte. Au grand dam des employeurs. Le 26 septembre dernier, le ministre a tranché : tant qu’il n’y aura pas d’alternatives crédibles permettant de facilement obtenir le prix réel de la recharge au domicile de chaque travailleur, le recours au tarif forfaitaire de la CREG sera temporairement accepté. Il s'agira d'un montant publié trimestriellement par d'aministration fiscale.
2. Pourquoi faut-il optimiser la recharge des voitures électriques ?
La question se pose dans la mesure où l’engagement de la Belgique à réduire ses émissions de gaz à effet de serre passe par l’abandon progressif de l’énergie carbonée (pétrole, gaz) au profit d’une énergie décarbonée qui, à l’heure actuelle, est surtout électrique. Or cette transition énergétique passe par un réseau qui initialement n’a pas été dimensionné à cette échelle. Par exemple, la consommation électrique d’un ménage pourrait passer de 4 MWH à 20 MWH ! En réalité toutes les projections qui ont été faites par le passé par rapport à cette transition énergétique qui en est encore à ses débuts, sont systématiquement dépassées. Il y aura des décrochages et surtout un prix de l’électricité qui sera beaucoup plus cher au moment où le réseau sera ultra tendu.
Les entreprises qui ont installé des bornes de recharge pour les véhicules de leurs travailleurs ont tout intérêt, financièrement d’abord, mais aussi pour participer à l’équilibrage des flux sur le réseau, d’optimiser ces recharges.
Voici quelques pistes de solutions :
Enersol (Jean-François Bragard et Quentin Strijhagen)
Intégrateur de solutions d’énergie durables depuis bientôt 20 ans, Enersol a fait de son bâtiment de Battice un laboratoire. Avec du photovoltaïque et une mini éolienne pour l’autoproduction verte et à côté de cela du stockage industriel, de la mobilité électrique et un système HVAC adapté pour flexibiliser et optimiser cette production interne. L’objectif étant de pouvoir bénéficier d’un prix du kWh minimal tout en garantissant une efficacité maximale sur la durée.
Par rapport aux voitures de société, la démarche d’Enersol a été celle-ci : pour diminuer son bilan carbone, l’entreprise a introduit en 2016 ses premiers véhicules électriques (full électrique ou hybride) dans sa flotte de voitures de société ; aujourd’hui plus aucune d’elles n’est thermique (à l’exception des véhicules utilitaires pour lesquels il n’y a pas encore d’alternatives intéressantes). La production d’électricité du site permet théoriquement la recharge de tous ces véhicules. Sauf que cette production, dépendante de l’ensoleillement et du vent, ne correspond pas toujours au moment où le besoin d’électricité se fait sentir. Une autre contrainte est que Enersol ne voulait pas upgrader sa connexion au réseau. Dès lors pour renvoyer le moins de courant possible sur le réseau et viser l’autoconsommation, respecter la puissance du raccordement initial et pouvoir recharger la flotte quelle que soit la météo, des éléments de stockage ont été installés.
Fort de cette expérience, Enersol propose désormais à ses clients, en fonction de leurs besoins, une combinaison de sources de production durable d’électricité alliée à un système de stockage. L’ensemble est géré par un EMS (Energy Management System) pour garantir à tout moment l’approvisionnement nécessaire à l’activité du site et aux besoins de recharge des utilisateurs de véhicules électriques tout en faisant de l’optimisation financière. L’avantage d’un tel système est d’éviter la surcharge du réseau et de permettre un pilotage intelligent de l’électricité produite qui maximise l’autoconsommation.
Enersol s’allient à différents partenaires pour offrir un service complet en la matière. Citons par exemple le logiciel Neofleet, une plateforme dédiée à la gestion des flottes de véhicules et des bornes de recharge ou encore Monta pour un suivi des consommations sur les bornes publiques et à domicile.
Nexxtlab (Olivier Piraux)
Entreprise basée au Luxembourg avec des filiales en Belgique et en Allemagne, Nexxtlab propose aux propriétaires de bornes un EMS (Energy Management System) pour contrôler le coût de la recharge, faire du reporting durable et répondre à la complexité du process de la recharge qui impacte nécessairement les gestionnaires de flotte. On parle ici de recharge à la maison avec ou sans panneaux solaires, de recharge quand on vit en appartement, de recharge sur la voie publique ou en entreprise. Et là aussi, les choses se complexifient avec l’installation d’équipements fournissant de l’énergie renouvelable, l’adoption de tarifs d’électricité dynamique et la contrainte des limitations de connexion au réseau à certains moments.
Nexxtlab a donc développé un EMS intégrant les bornes, les batteries et bien d’autres assets aussi bien à l’entreprise qu’au domicile du travailleur. Le système est transparent, il propose différents services (moniteur de nuit, tarifs dynamiques, calcul de l’impact CO2…), et surtout, il est évolutif parce que, dans les faits, l’électromobilité au sein d’une entreprise s’installe progressivement en fonction du nombre de véhicules et de la mise en service des installations énergétiques nécessaires. L’EMS Nexxtlab comprend un back-end pour le fleet manager et il communique avec l’utilisateur via une app fournissant des KPI personnels, une vision des bornes libres, le choix entre un mode de recharge éco ou fast, un feed-back en temps réel de son état de charge, etc. Ceci pour impliquer l’utilisateur et le convaincre de jouer le jeu de la transition.
Phoenix Contact (Raphaël Zanellato)
L’entreprise, créée en Allemagne, a plus de 100 ans et deux sièges en Belgique (Zaventem et Villers-le-Bouillet). Elle s’affiche comme un leader mondial et un innovateur en matière d’électrification, d’interconnexion et d’automatisation. Dans ce contexte, Phoenix produit des composants pour les bornes de recharge (câbles, composants liés à la communication…) ainsi que des puces électroniques et autres éléments en lien avec la recharge implantés dans les voitures elles-mêmes. Elle offre aussi une solution pour les propriétaires de bornes Powerdale basée sur un système rétrofit. Il est donc possible de garder le système en place et ne changer que le contrôleur.
L’EMS de Phoenix qui permet à toutes les infrastructures (les diverses sources d’énergie disponibles, les installations, les tableaux de bord, les bornes de recharge) de communiquer s’appelle Mint. Le système a pour principe de se focaliser sur l’offre d’énergie plutôt que sur la demande. Ainsi Mint répartit la consommation de l’énergie disponible dans le temps, en fonction des besoins des utilisateurs. L’intérêt, c’est qu’il tient compte à la fois des charges contrôlables (les batteries, les véhicules électriques) et des consommations imprévisibles et compliquées comme la consommation quotidienne de l’entreprise, par exemple pour éviter au maximum de devoir adapter l’infrastructure énergétique.
Le système de gestion de l’énergie Mint possède une extension « Advanced » qui, grâce à l’IA, utilise différentes données comme les prix de l’énergie, les prévisions météorologiques, les profils et préférences des utilisateurs pour optimiser la recharge en fonction du coût, de la production disponible, etc. Ici aussi les données sont visibles et gérables via un tableau de bord central et une app destinée à l’utilisateur.
MétéoElec (Damien Lepage)
Actuellement en Belgique, le challenge de la mobilité électrique se situe principalement dans les entreprises dans la mesure où 80 à 90% des véhicules électriques sont des voitures de société. Quand on sait qu’une borne de recharge consomme entre 3.000 et 4.000 kWh/an, on imagine bien que pour certaines entreprises les consommations électriques risquent de doubler et leurs coûts aussi. Comment maîtriser cela et surtout éviter des factures qui explosent ? En travaillant sur les deux composantes de la facture d’électricité.
- La composante réseau de la facture d’électricité est amenée à augmenter significativement à très court terme (on parle d’une hausse de 62% en 2025) en raison des investissements nécessaires pour la transition énergétique, mais aussi parce que les régulateurs de l’énergie vont imposer des prix plus élevés au moment des pics de consommation. Pour réduire cette composante, il faudra que l’entreprise produise et consomme sa propre production d’électricité (en évitant d’utiliser le réseau), synchronise consommation et production et à partir de 2026 profite du système de tarifs moins chers à certains moments de la journée que la CWAPE va mettre en place.
- Pour diminuer la composante énergie de la facture, produire et autoconsommer entre évidemment en ligne de compte. L’entreprise devra aussi passer à un contrat dynamique pour concentrer ses consommations aux heures les moins chères et charger intelligemment son parc de véhicules électriques en fonction de cela.
Damien Lepage conseille par ailleurs aux entreprises, quand la formule sera disponible en Wallonie, de prendre deux contrats d’énergie pour son site. L’un dynamique pour les consommations flexibles, l’autre fixe ou variable pour les consommations fixes comme celles liées aux bâtiments.
MeteoElec, qui propose des solutions software pour faciliter et optimiser la recharge de véhicules électriques, effectue actuellement des tests d’équilibrage du réseau pour Elia à l’échelle de son propre site via les véhicules du personnel. Son système permet de recharger la flotte en suivant les prix ultradynamiques de l’électricité. Avec comme résultat, la stabilité du réseau et surtout une composante énergie de la facture d’électricité qui peut diminuer jusqu’à 80%.
Sa grande spécificité est de contrôler la recharge depuis les voitures plutôt que depuis les bornes. Ceci permet d'avoir très peu d'installation de hardware, et d'obtenir en temps réel les données de la voiture telles que sa consommation, son kilométrage... Ce qui permet encore d'autres cas d'usage que celui de la recharge intelligente.
Le cas Powerdale (Béatrice Schobbens)
A l’été 2023, Powerdale, l’entreprise belge de bornes de recharge électrique, a fait faillite après avoir installé plus de 50.000 bornes sur tout le territoire belge. Dans la mesure où les bornes Powerdale ne fonctionnaient qu’avec leur propre logiciel, Nexxtmove, la situation est devenue critique pour les entreprises qui avaient opté pour cet équipement, car Powerdale en éteignant ses serveurs a interrompu toute communication entre ses bornes et leurs utilisateurs. De plus, la plupart des pièces utilisées étant spécifiques au système, il n’est plus possible dorénavant de les remplacer. La faillite de Powerdale n’est donc pas passée inaperçue ! Certains opérateurs qui étaient présents proposaient des solutions à ce sujet.
Pour en savoir plus, la Cellule Mobilité a rédigé deux longs articles sur le sujet.
Les présentations de la matinée
La norme PEB – Stéphanie Zangl (AKT for Wallonia)
La réglementation européenne AFIR et le remboursement au tarif de la CREG – Béatrice Schobbens (Cellule Mobilité d’AKT for Wallonia)
Le cas Powerdale – Béatrice Schobbens (Cellule Mobilité d’AKT for Wallonia)
L’EMS de Nexxtlab – Olivier Piraux
Les solutions et l’EMS de Phoenix Contact – Raphaël Zanelatto
Les solutions software de MeteoElec – Damien Lepage